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Passer du public au privé, interview d’une freelance

L’équipe de e-fonctionnaires a rencontré récemment Kimberley, une ancienne fonctionnaire qui a décidé de se lancer dans une aventure entrepreneuriale en vendant directement ses services de graphiste.

Elle est passée du statut de fonctionnaire territoriale à graphiste freelance en microentreprise. Nous avons décidé de l’interviewer comme son expérience pourra peut-être servir à d’autres.

Présente-toi un peu. Dis-nous qui es-tu.

Je m’appelle Kimberley, j’ai 33 ans, pacsée et maman d’un petit garçon. Je suis graphiste, c’est-à-dire que je créé des identités visuelles et supports de communication pour les entreprises et les associations.

J’aime tout ce qui a un rapport avec l’art, la nature. Je me suis passionnée rapidement pour les métiers de l’image et de la communication, j’ai même commencé à bidouiller Photoshop à l’âge de 13 ans. M’orienter vers les métiers de l’image était donc une évidence pour moi.


Parles-nous de ton parcours. Quelles études tu as faites ? Résume-nous
ton CV.

J’ai commencé mes études supérieures par un BTS audiovisuel en spécialité montage et post-production. J’ai exercé le métier de technicienne multimédia pendant un peu plus de 3 ans d’abord dans une agence de communication puis dans une petite télévision locale et enfin à l’Université Montpellier 1.

Puis me retrouvant au chômage dans un cadre où il fallait être polyvalent je suis retournée à l’école pour une certification d’infographie print et web, équivalent à un BTS en 6 mois.

J’ai été présentée à la responsable du service culturel de la mairie du Grau du Roi par des amis communs, elle cherchait à intégrer un communicant dans son équipe et m’a proposé un stage d’un mois pour me tester. Elle était très satisfaite de mon travail et m’a proposé de revenir mais en tant qu’agent titulaire cette fois-ci en tant que graphiste.


Graphiste c’est un métier un peu flou pour certains. Tu peux nous expliquer rapidement en quoi ça consiste ?

Un graphiste c’est celui qui créé des affiches, des identités visuelles (logo), des enseignes, des dépliants, des brochures, il peut aussi designer des illustrations sur les vêtements. Il fait aussi de la mise en page pour des magazines, des rapports d’activité. Ça c’est des exemples de communication imprimée, on appelle ça du print.

Mais un graphiste peut tout aussi bien designer un site internet, ça c’est du web.

Moi j’ai été formée comme graphiste print et web, donc je peux faire les deux.


Et si tu nous donnais un peu de contexte sur ton poste en tant que fonctionnaire territoriale ?

C’était pas facile de se faire comprendre en tant que graphiste dans une équipe de 4 administratives. Et je me suis rapidement retrouvé à faire toute la communication événementielle (création des visuels, gestion des réseaux sociaux, mise en ligne sur le site de la ville) en plus du travail sur terrain (accueil du public, accueil des artistes, catering, aide à l’installation et démontage des chapiteaux et stands, photo des événements
et même de l’animation d’ateliers pour enfant !). Je travaillais à temps plein et un week-end sur deux, c’était pas totalement mon métier mais c’était enrichissant, j’étais ravie mais épuisée à la fin de l’année. La charge de travail était telle que je n’arrivais pas à tout faire, j’étais quand même frustrée de pas pouvoir exploiter pleinement mes capacités de graphiste.

C’était particulier comme équipe car il y avait cette mentalité de « plus tu accumules des missions et des tâches à accomplir, plus tu te tues au travail, mieux tu te fais voir ». J’avais 24 ans et je me suis faite avoir, avec le recul je me rends compte que c’est très malsain.

Quelques mois après mon arrivée, en 2014, les élections municipales ont fait changer d’équipe municipale, il y a eu une grosse réorganisation des
services. C’est comme ça que j’ai été transférée au tout nouveau service communication. Je ne ferai plus de terrain, ouf !

Mais on ne m’a pas allégé les tâches de communicante pour autant, au contraire, suite au départ de ma collègue qui avait en charge la communication institutionnelle je me suis retrouvée avec une charge
phénoménale (bulletin municipal, communication du RAM, du CCAS, communication interne ,…)

J’ai plusieurs fois tiré la sonnette d’alarme. Souvent je n’avais pas le temps de répondre aux commentaires sur la page Facebook de la ville, je mettais les articles en ligne un peu « à l’arrache »… Et quand je voulais partir en congés c’était encore la panique « comment va-t-on faire si t’es pas là ? »


Si je comprends bien, tu reproches à la fonction publique de ne pas avoir compris ton corps de métier ?

C’est ça, mais en même temps je comprends. Mes anciens collègues et élus n’ont pas connu autre chose que la fonction publique territoriale, certains n’avaient même jamais travaillé ailleurs qu’à la mairie. Ils n’avaient donc pas de point de repère.

Comme beaucoup de métiers de la communication sont des métiers assez jeunes, c’est pas forcément évident de les comprendre. Le souci, c’est que quand j’essayais d’expliquer que je n’avais pas la formation adaptée pour administrer correctement les réseaux sociaux, ni pour faire une application mobile (car oui c’était un projet qu’on a voulu me confier), j’ai souvent reçu comme réponse que finalement je n’y connaissais rien à mon métier, que j’étais incompétente.

C’est pas top pour avoir confiance en soi…

Je ne te le fais pas dire ! Et comme pour en rajouter une couche, tu le sais, la fonction publique territoriale est un mille-feuille administratif.
La moindre proposition de changement de marque de stylo doit passer par tous les sous-chefs et petits chefs avant d’arriver au grand manitou. Donc je te laisse imaginer ce qui se passait dès que je faisais une proposition de projet, ou ne serait-ce que demander d’embaucher un spécialiste de la communication.

Ma supérieure hiérarchique directe ne connaissait même pas mon grade, le DGS ne savait même pas que j’étais diplômée. J’avais envie d’évolution de carrière, de créer des projets.

J’ai alors compris que la fonction publique offrait, certes, la stabilité d’emploi et de revenus, mais aucune possibilité d’évolution de carrière. Et je rêvais d’évolution.

Raconte-moi un peu ta démarche alors.

Déjà j’ai commencé par craquer, tu l’as compris mes supérieurs avaient tirés sur la corde et un beau matin je me suis effondrée au sens propre.
Impossible de me relever, je ne m’étais rien cassé dans ma chute mais c’est bien mon corps qui ne m’obéissait plus. Quand j’ai retrouvé la force de me lever, je suis allée chez le médecin en larmes et tremblante pour trouver de l’aide. Le verdict est tombé, j’étais en burn out. Il m’a arrêtée 3 mois.

Qu’as-tu fait pendant ce temps ?

J’ai pris du temps pour me remettre, commencer une thérapie et j’ai eu de la chance. Je suis tombée sur un Psychologue avec un grand P qui a parfaitement compris ma situation et ma personnalité et il a su, quand j’étais prête à l’entendre, me donner un coup de pied aux fesses pour que je prenne ma vie en main. Ce psychologue m’a reboosté, j’ai pas d’autres mots. Il faut dire qu’il était spécialisé dans la psychologie du travail et l’orientation professionnelle. Je pense qu’il m’a vue venir à 10000. C’était exactement la personne dont j’avais besoin à ce moment-là.

Il n’y aurait pas de changement de situation pour moi dans la fonction publique territoriale, où que j’aille j’aurais toujours un mille-feuille administratif qui m’empêcherait de faire bouger ce qui ne me convenait pas.
De plus je déteste qu’on me dise comment je dois faire quelque chose que je maîtrise, et encore plus quand ça vient de quelqu’un qui n’y connait rien.
Alors il fallait que je quitte la fonction publique. Et l’idée de me mettre à mon compte a germé.

Je suis retournée travailler avec un certain détachement mais je n’ai pas dit mon désir de quitter mon poste à mes collègues. C’était trop tôt, il fallait que ça mûrisse.

Peu de temps après le début de ma thérapie et juste quand je commençais à me sentir mieux, j’ai rencontré mon conjoint, freelance, qui m’a lui aussi poussée à sauter le pas. Heureux hasard de la vie ? Certainement.

Quand as-tu pris ta décision ?

Je ne sais plus exactement mais il me semble que quelques semaines après avoir repris le travail je recommençais à perdre pied. Et là j’ai dit « une fois, pas deux » Et j’ai décidé de faire les démarches pour partir le plus sereinement possible pour tout le monde.

Comment as-tu procédé ?

J’ai choisi de partir sur le statut d’autoentrepreneur (aussi appelé microentrepreneur) pour me permettre de commencer à lancer mon entreprise sans avoir de gros frais et une comptabilité simple. Je ne suis pas douée avec les chiffres !

J’ai fait quelques recherches et je me suis rendu compte que je n’avais pas le droit de cumuler une activité d’autoentrepreneur et un emploi à temps plein en tant que fonctionnaire territorial. Il fallait que je passe au moins à 60% pour ouvrir mon entreprise.

Et quand bien même le temps partiel était accepté, il fallait également faire passer mon dossier en commission de déontologie à Paris pour cumul d’activité dans le cadre d’une création d’entreprise.

J’avais mon loyer et comme tu le sais les fonctionnaires ne cotisent pas au chômage et n’y ont donc pas droit. Donc afin de payer au moins mon loyer j’ai fait une demande de mi-temps. Pour ça j’ai simplement rédigé un courrier dont j’avais trouvé un modèle sur internet pour avoir la bonne tournure des phrases et je l’ai adaptée à ma demande, puis je l’ai envoyée au maire via le service de courrier interne. Je trouvais ça ridicule, mais j’ai voulu que ma démarche soit la plus administrativement clean possible pour mettre toutes les chances de mon côté. Évidemment j’avais averti mon service et mes supérieurs par oral, appuyé par un mail (pour garder une trace écrite en cas de problème) afin de ne surprendre personne.


Peux-tu me dire en gros ce qu’il y avait dans cette lettre ?

Pour ce genre de lettre il faut expliquer pourquoi on souhaite un temps partiel, même si c’est un droit de demander un temps partiel il vaut mieux être franc et expliquer sa démarche. On garde de meilleures relations humaines en expliquant les choses.

C’est comme ça que j’ai écrit que je faisais ma demande pour passer d’un temps complet à un mi-temps afin de me permettre d’ouvrir ma microentreprise dans le graphisme. Et il vaut mieux préciser qu’on empiètera pas sur ses missions en tant que fonctionnaire, qu’on ne travaillera pas pour sa boîte sur son temps de travail de mairie. J’ai également précisé dans ma lettre que ma clientèle serait sur le territoire de mon employeur mais que je n’empièterais pas sur les missions de la mairie.

En fait il faut concevoir cette lettre un peu comme un avenant à ton contrat, tu demandes une faveur, tu montres que tu y mets du tien mais tu poses aussi ce que ça implique. Comme le métier de graphiste est assez exposé (des logos, des affiches, des bannières,…) le maire était susceptible de voir certains de mes travaux dans sa ville, je ne voulais pas qu’il puisse me le reprocher.

Pour information, un fonctionnaire à temps complet peut demander de passer à temps partiel temporairement, ça peut aller jusqu’à 12 mois.

Et ça a été accepté ?

Oui ! J’ai reçu la réponse avec mon bulletin de salaire comme quoi mon mi-temps serait effectif 6 mois plus tard. Aussitôt l’accord de mon mi-temps reçu, je n’ai pas perdu de temps, je me suis tournée vers la DRH pour saisir la Commission de déontologie et monter un dossier.


Comment on s’y prend pour saisir la Commission de déontologie ?

Là encore, pour ma part, une simple lettre a suffi. Du même acabit que celle que j’avais écrite au maire à peu de choses près. C’est la DRH qui a monté le reste du dossier qui, si je me souviens bien, contenait mes rapports d’entretiens d’évaluation, mon grade, mon arrêté (contrat de travail), la copie de ma demande de mi-temps et une lettre que j’avais rédigée pour expliquer mon projet professionnel. Puis elle l’a transféré à Paris.

Ça a peut-être changé mais je crois me souvenir que la Commission a un délai de 3 mois pour répondre et se réunit une fois par mois. Si elle ne donne pas de réponse dans le délai la demande est considérée comme acceptée.

Que risque-t-on si on ne se soumet pas à ces démarches ?

Comme je te l’ai dit, un fonctionnaire territorial n’a pas le droit de cumuler son statut de fonctionnaire et une activité professionnelle dans le privé (salarié, patron ou freelance). S’il le fait quand même et se fait prendre il peut être accusé de prise illégale d’intérêts (article 432-13 du code pénal). Si tu veux lire l’article de loi en question:


https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033912762/

Mais en gros tu risques 200 000€ d’amende si tu fais pas toutes ces démarches. Donc oui, ça vaut le coup de perdre 3 mois et de payer deux timbres.


Ça c’est le côté de ton employeur. Quelles ont été les démarches pour
ton autoentreprise en elle-même ?

Ça a été plus simple. J’ai ouvert ma microentreprise en quelques clics sur le site de l’Urssaf


https://www.autoentrepreneur.urssaf.fr/portail/accueil/creer-mon-auto-entreprise.html

J’ai obtenu mon numéro de Siret environ deux semaines plus tard. Je me suis également enregistrée au Registre des Commerces et des Sociétés (RCS) encore sur internet, obtenu mon extrait K obligatoire pour ouvrir un compte bancaire professionnel toujours sur internet et c’était parti, j’étais freelance.


A partir de là tu as cumulé les statuts fonctionnaire et
autoentrepreneur ?

Exactement. Je suis restée salariée à mi-temps pendant environ un an. Et 6 mois avant mon départ désiré j’ai envoyé une nouvelle lettre au maire. Celle de ma demande de mise en disponibilité pour création ou reprise d’activité pour une durée de 3 ans.

Ça me permettait ainsi de pouvoir revenir vers un emploi stable si je n’arrivais pas à vivre de mon activité de graphiste freelance.


Peux-tu résumer dans quel ordre tu as exécuté toutes ces démarches ?

D’abord j’ai fait ma demande de temps partiel, une fois celle-ci acceptée j’ai saisi la Commission de déontologie. Puis quand la Commission a donné
un avis favorable à ma demande de cumul d’activité j’ai ouvert mon autoentreprise via les sites de l’Urssaf et du RCS, puis j’ai ouvert un compte bancaire pro dans la banque de mon choix. Enfin, j’ai demandé une mise en disponibilité pour création ou reprise d’activité professionnelle.

C’est très important de respecter cet ordre-là pour ne pas être accusé de prise illégale d’intérêt et se voir couper l’herbe sous le pied.


Tu es donc partie de la fonction publique suite à un burn out pour te
lancer à ton compte. Pourtant on pourrait penser que c’est plus dur
d’être à son compte ?

C’est le cas. La vérité, on ne va pas se mentir, c’est que quand tu es fonctionnaire que tu fasses correctement ton travail ou que tu le fasses mal tu auras ton salaire à la fin du mois. En tant que freelance si tu fais
un travail de cochon les clients ne reviennent pas te voir. Et puis il faut les trouver les clients, savoir bondir sur une bonne opportunité, éviter les arnaques, savoir rebondir en cas de coup dur (le Covid-19). Mais l’avantage c’est que tu sais pourquoi tu fais tous ces efforts. Et puis si tu fais un travail comme le mien tu peux travailler de n’importe où dans le monde. Mon plus beau bureau ça a été une terrasse au bord d’une piscine sur l’île de Tenerife.

Tu regrettes quelque chose de la fonction publique ?

Pas vraiment. A par la vue de mon bureau sur toute la baie d’Aigues-Mortes ! Et les petites blagues entre collègues quand on attaquait le bulletin municipal « il est pas bientôt fini ce bulletin ?? » on riait de la pression qu’on nous mettait pour le terminer dans les temps.

Un mot de la fin ?

Toi qui lis ces lignes, si tu te lances dans l’aventure de quitter la stabilité pour l’inconnu total… Fais-le !

Malgré mon bagage de bac+2 et trilingue je suis entrée en catégorie C dans la filière administrative, j’ai très vite passé et réussi un concours pour passer en filière technique dont les possibilités d’évolution de carrière me correspondaient mieux, j’étais donc adjoint technique principale 1 er classe, je me suis même vu refuser des formations au concours de technicienne (cat. B). J’en profite donc que la parole m’est donnée pour interroger l’État : puisque c’est l’État qui délivre des diplômes (reconnu par l’État), comment se fait-il que lorsqu’on est embauché par l’État, ou ses représentants, notre employeur ne peut reconnaître notre niveau d’étude ? Alors que dans le privé c’est une obligation …